En travaillant avec le groupement de commande Tremplin qui associe 8 grandes cuisines centrales françaises, Joseph Karam, doctorant en sciences du management, a mis en lumière l’impact des lois AGEC et Egalim sur les ressources humaines. Il nous explique comment.

Pourquoi dites-vous que les lois AGEC et Egalim ont impacté les compétences ?

Les lois AGEC (Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire) et Egalim (pour l’Équilibre des Relations Commerciales dans le secteur Agricole et Alimentaire et une Alimentation Saine, Durable et Accessible à tous) ont eu un impact sur des compétences de différentes natures. Tout d’abord dans le domaine de la gestion de projet, mais aussi en innovation, en communication et en matière de développement durable. Ces lois ont introduit de nouvelles réglementations qui ont fixé de nouveaux objectifs dans les secteurs de l’alimentation et de l’environnement.

Quelles sont les compétences qui ont été mises en lumière par ces lois ?

En matière de gestion de projet, les lois AGEC et Egalim ont obligé les entreprises à revoir leurs pratiques, adapter leur chaîne de production et leur communication pour répondre aux nouvelles normes et attentes. Pour cela, elles ont dû mettre en place des projets spécifiques, impliquant souvent des compétences de gestion de projet. Sur le plan de l’innovation, AGEC et Egalim ont incité les entreprises à innover pour répondre aux nouveaux enjeux de durabilité et de qualité de l’alimentation. Elles ont donc dû développer de nouvelles gammes de produits, mettre en place de nouveaux procédés de fabrication, ou encore concevoir de nouveaux emballages. Ces évolutions ont donc nécessité des compétences en innovation. En parallèle de ces changements, AGEC et Egalim ont renforcé les attentes des consommateurs en matière de transparence, de qualité et de traçabilité des produits. Les entreprises ont donc dû améliorer leur communication pour informer les consommateurs sur l’origine des produits, leur composition, leur mode de production, etc. Cela a impliqué des compétences en communication. Enfin, en introduisant de nouvelles réglementations pour lutter contre le gaspillage alimentaire, réduire l’utilisation de plastique et favoriser le recyclage, AGEC et Egalim ont obligé les entreprises à intégrer ces enjeux dans leur chaîne de production et dans leur communication. Ces lois ont incité les professionnels de la restauration à repenser leur approche de la cuisine et à être plus conscients de l’impact environnemental et social de leur activité. Cela a poussé les cuisiniers à être plus créatifs et à trouver des solutions pour réduire le gaspillage alimentaire, utiliser des produits locaux et de saison, et promouvoir une alimentation plus équilibrée.

Les chefs de cuisine sont-ils directement visés ?

Oui car ils ont dû développer de nouvelles compétences, dans le domaine de la gestion des stocks, l’utilisation de produits moins connus ou moins utilisés, la préparation de plats végétariens ou végétaliens, ou encore la maîtrise des techniques de conservation et de transformation des aliments. Ces pratiques leur permettent de développer de nouvelles compétences en matière de sélection et de préparation des aliments, et plus de créativité culinaire. De plus, les lois AGEC et Egalim ont également encouragé les formations et les échanges entre professionnels, favorisant ainsi le partage des connaissances et des bonnes pratiques. Cela a contribué à améliorer la qualité de la cuisine et à valoriser le métier de cuisinier. En somme, les lois AGEC et Egalim ont eu un impact significatif sur les pratiques des entreprises du secteur de l’alimentation et de l’environnement, en les amenant à développer de nouvelles compétences en gestion de projet, en innovation, en communication et en développement durable.

Comment avez-vous travaillé avec le SYREC, SIRESCO et le groupement de commandes Tremplin ?

Lors de mon Master 2 Études et Recherche en Management à l’Iaelyon, avec un mémoire sur l’impact des lois contraignantes (EGALIM) sur les compétences individuelles, collectives et collaboratives et le rôle du management de proximité en restauration collective, j’ai eu la chance de pouvoir travailler avec Le SYREC et le SIRESCO, où j’ai découvert le Groupement de Commandes « Tremplin ». Venant du milieu de la restauration et après plus de 25 ans dans le monde de l’entrepreneuriat et le développement d’un groupe de restauration au Liban et au Moyen-Orient, j’ai perçu la passion qui anime les directeurs de ces deux cuisines, la collaboration constructive entre les cuisines qui font partie de Tremplin, une gestion de projet pointu où les acteurs principaux sont tous les collaborateurs, où on redonne de l’importance à l’être humain au sein d’une entreprise. Je voulais comprendre l’impact de la loi Egalim sur les montés en compétences, mais j’ai découvert un terrain où des passionnées sont en train de faire de la différence sur le plan sociétale, écologique et humain. Faire participer les équipes à tous les niveaux, en accentuant le rôle et l’importance de chaque geste, est une réelle formation à la collaboration pour trouver des idées et des solutions et être force de proposition face à l’inflation des prix par exemple.

Quels enseignements avez-vous tiré des entretiens menés avec les équipes qui travaillent dans ces cuisines centrales ?

Dans le contexte concurrentiel actuel, qualifié d’environnement hypercompétitif, et dans lequel les obstacles sont de plus en plus des enjeux de mondialisation et non plus de concurrence entre entreprises locales, les dirigeants et managers doivent garder à l’esprit les limites des solutions apportées à chaque nouvel obstacle.

Aujourd’hui, si les projets de développement de nouveaux produits ou services permettent essentiellement l’exploitation, le maintien et l’amélioration des compétences existantes, ils ne sont plus suffisants pour assurer le développement de nouvelles compétences. Les dirigeants et managers sont amenés à créer de nouveaux leviers d’action ou à repenser les leviers en place, pour garantir non seulement le renforcement mais aussi le renouvellement des compétences, pour trouver les solutions aux nouveaux obstacles de plus en plus complexes et généralement liés entre eux.

Les interactions entre acteurs sont à la base de cette montée en compétences. Le plus important est de mettre la personne au centre de cette recherche. Les dirigeants et les managers ne doivent pas perdre de vue que le développement conjoint des compétences et des projets nécessite une réflexion au niveau de l’entreprise, en considérant la complémentarité des dimensions en jeu (gestion des connaissances, GRH, et stratégie), mais aussi la pluralité des acteurs impliqués dans l’articulation compétences-projets-obstacles.

C’est donc du terrain qu’ont surgi certaines solutions techniques. Expliquez-nous ?

Par exemple, pour répondre à l’objectif de limiter le gaspillage alimentaire, des chefs de cuisine ont mis en place des outils de gestion des stocks et des menus pour optimiser l’utilisation des aliments. Ils ont également développé des techniques de conservation et de transformation des aliments pour éviter leur perte.

De même, pour répondre à l’objectif de privilégier les circuits courts et les produits locaux, les équipes de cuisine ont mis en place des réseaux de producteurs locaux et ont développé des partenariats avec eux. Ces réseaux ont également utilisé des outils de traçabilité pour suivre la provenance des aliments et garantir leur qualité. Grâce à cette collaboration inédite (Tremplin), et grâce à cette motivation collective et individuelle pour trouver des solutions adaptées et applicables aux conditions imposées par les lois Egalim et Agec, grâce aux tests et échanges internes entre les différents acteurs (fournisseurs, cuisiniers, gestionnaires, Tremplin…), les compétences individuelles et collectives se sont enrichies. Mais surtout, cette montée en puissance collaborative a permis de placer la personne au centre de cette recherche et de trouver des solutions à ces problèmes techniques.La mise en place de Tremplin, une collaboration inédite* rappelons-le, a permis à l’individu et au collectif de se poser des questions sur les différents modes de production pour réduire l’impact de la crise économique et gérer la transition vers le zéro plastique. Et même si une grande partie du personnel en production ne vient pas de la restauration, il y a une réelle montée en compétences dans l’exercice du passage du plastique à la cuisson et au chauffage de contenants en acier inoxydable ou en verre.

Vous mettez en avant le management de proximité. Que regroupe cette notion ?

Le management de proximité est une approche de gestion d’équipe qui met l’accent sur le rôle du manager en tant que leader de terrain, proche de ses collaborateurs. Cette approche se concentre sur la communication, la motivation et la formation des employés, ainsi que sur l’organisation et la coordination du travail au quotidien. Les managers de proximités jouent un rôle essentiel pour inspirer les équipes et favoriser le développement des capacités. En établissant des objectifs clairs, en fournissant un retour d’information, en créant des opportunités de croissance, en encourageant la collaboration et en récompensant le succès, les cadres intermédiaires peuvent favoriser la croissance et le développement de leur équipe et accroissent ainsi la performance de l’entreprise.

La restauration collective peut-elle fidéliser et motiver les hommes qui y travaillent à l’heure de la pénurie de main-d’œuvre ?

Je pense, pour l’avoir constaté, que la reconnaissance et la valorisation du travail effectué sont essentielles. Mais surtout il faut donner la parole aux équipes et en les mettant au centre de l’entreprise. Primes, avantages en nature, formations, promotions sont des bons moyens pour y parvenir.

 

Il faut aussi s’assurer que les équipes ont des conditions de travail optimales pour pouvoir effectuer leur travail de manière efficace et sereine.Cela peut se faire par l’aménagement des horaires, la fourniture d’équipements de qualité, la formation à l’hygiène et à la sécurité alimentaire, etc. Il est important de créer une atmosphère de travail agréable et propice à l’épanouissement personnel des travailleurs.

 

Cela peut se faire par des moments de convivialité en dehors du travail, des événements festifs et des échanges réguliers avec la direction de l’entreprise. Enfin, la formation continue est essentielle pour être en mesure de s’adapter aux nouvelles exigences de la profession. Cela peut se faire par des sessions de formation régulières, des formations en ligne, etc. Sans oublier qu’il faut créer des perspectives pour qu’un agent de restauration puisse envisager son avenir dans l’entreprise. Cela peut se faire par des plans de carrière, des promotions internes, des ­opportunités de formation, etc. ?

* Tremplin - pour Transition vers le Réemployable et Innovation - est un groupement de commande créé par le Siresco, le Sivu Bordeaux-Mérignac, le Syrec, les villes de Nantes et Toulouse. Il ne s’agit pas d’un groupement de commande traditionnel puisque les solutions recherchées par ces acteurs n’existent pas encore pour la plupart. Lire La Cuisine Pro N° 33 : Inox ou verre : la lourde logistique du réemploi.

 

 

Bio Express

Après 25 ans dans le monde de l’entrepreneuriat et le développement d’un groupe de restauration au Liban et au Moyen-Orient, Joseph Karam est revenu en France en janvier 2020. Depuis août 2021, il dirige le Bachelor Management International de la Restauration de l’Institut Paul Bocuse et trois spécialisations en quatrième année.

Son parcours académique a débuté à l’Institut Paul Bocuse en 1995, puis en Master 2 Études et Recherche en Management à l'iaelyon, avec un mémoire sur l’impact des lois contraignantes sur les compétences individuelles, collectives et collaboratives et le rôle du management de proximité en restauration collective.

Il poursuit actuellement une thèse, sur « les structurations progressives des compétences individuelles, collectives et collaboratives dans les méta-organisations, dues aux changements imposés par les lois Egalim et Agec », sous la direction d'Olivier Bachelard et de Didier Vinot et au sein du Laboratoire Magellan à Lyon III.

 

 

 

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