
« L'aménagement de la cuisine a un impact sur les coûts d’exploitation… »
Comment votre groupe se relève-t-il de la crise sanitaire ?
Plutôt bien au regard de ce que nous venons de traverser. En fonction des emplacements, le redémarrage est plus fort que ce que nous avions prévu. Mais il va falloir que ça dure… Le contexte reste fragile et le chiffre d’affaires est encore loin de celui de 2019. Les conséquences économiques de la crise sur nos entreprises ont été terribles.
Estimez-vous avoir pris les bonnes décisions pour gérer cette crise ?
On ne le saura jamais mais on a tout mis en œuvre pour perdre le moins d’argent possible ! Parer un coup conjoncturel, et celui-ci était vraiment violent, c’est très différent d’un coup structurel sur lequel on peut agir.
On a la chance d’être un groupe, familial et indépendant, qui a toujours été bien géré. Les bases étaient solides avant la crise et le sont toujours. Les banques ne nous ont pas lâchées. Durant la période de fermeture nous nous sommes focalisés sur la gestion de nos charges fixes. Je rappelle que les groupes comme le nôtre n’ont pas été tout de suite éligibles aux aides de l’état en dehors du chômage partiel et des reports pour les charges sociales. C’est seulement à partir de 2021 que le GNI a obtenu que nous ayons des aides pour nous permettre d’absorber une partie de nos charges fixes. Ces aides ne sont arrivées qu’en milieu d’année… et entre-temps il faut tenir !
Ensuite, nous nous sommes attachés à préparer la réouverture pour que nos établissements soient opérationnels dès qu’on a eu le feu vert. Il était urgent pour nous de rouvrir le plus vite possible. Parmi les côtés positifs, il y a aussi notre positionnement avec des établissements présents sur trois segments de prix : des brasseries avec des offres plutôt haut de gamme, des bistrots avec des offres intermédiaires et des bouillons avec des formules plus économiques. Cette diversité nous permet de couvrir une offre complète de restauration à la française. Avec la crise, les valeurs de tradition et de modernité instaurées par mon père, sont plus que jamais d’actualité. Nos établissements occupent des emplacements historiques au cœur de Paris, nous ne travaillons que des produits frais, et nous mettons en scène dans les assiettes des recettes emblématiques de la cuisine française. C’est ce qu’attendent nos clients avec en prime un vrai service à table.
Donc pas de Click & Collect pour vous ou de livraison à domicile ?
Non. Je n’ai pas voulu me lancer dans une activité dont je ne maîtrisais pas toutes les contraintes et pour laquelle je n’avais aucune certitude de pérennité et de succès. Cela étant dit, j’observe avec attention ces Dark Kitchen et toutes les nouvelles formes de restauration qui voient le jour. Notre société change et a besoin de nouvelles solutions. Cela a toujours été le cas en restauration. Il suffit de se souvenir de l’arrivée des chaînes de restauration rapide en France…
À la réouverture vous avez récupéré tous vos collaborateurs ?
Oui, ce qui nous a confortés dans la politique salariale que nous avons mise en place depuis plusieurs années avec un intéressement et une participation qui influencent probablement aussi la fidélité. Nous savons que certains collaborateurs ont complété leur chômage partiel en prenant des emplois à temps partiel dans des Dark Kitchen justement. Mais un groupe comme le nôtre recherche constamment des nouveaux collaborateurs. La pénurie de main-d’œuvre est effectivement préoccupante.
Vous avez rouvert un Batifol en 2019. Pourquoi relancer cette enseigne ?
Parce que nous avons estimé alors que c’était le moment. On ne pouvait pas prévoir qu’on aurait d’abord les grèves puis la crise sanitaire. Batifol avait été lancé par mon père en 1988 dans un esprit de chaîne. Pour le groupe, le nouveau Batifol Gare de l’Est est désormais une enseigne réactualisée dans l’esprit bistrot et maintenant nous allons pouvoir vraiment nous en occuper.
Envisagez-vous déjà de nouveaux développements ?
La crise a tout stoppé mais a fait naître des opportunités c’est certain. Je reste à l’écoute, je regarde tout mais ma préoccupation actuelle n’est pas le développement vous vous en doutez. Il y a des affaires à vendre car les conséquences psychologiques sur l’état d’esprit des entrepreneurs ont aussi fait des ravages. Certains patrons ont décidé de jeter l’éponge car la charge de stress a été trop importante. On parle de "l’effet Covid" pour les salariés qui ont décidé de changer de vie pendant la crise mais il y en a eu également un pour les entrepreneurs.
Il y a quelque temps, vous avez investi dans un hôtel, le métier d’hôtelier vous plaît-il ?
Oui l’Hôtel du Bœuf Couronné Porte de Pantin a été une belle opportunité que nous ne regrettons pas. Il réalise de très bons Taux d’occupation. L’hôtellerie est un autre métier, très différent de la restauration, mais tout aussi passionnant ! Fort de cette expérience réussie, l’hôtellerie pourrait être l’un de nos futurs axes de développement…
Vous rénovez petit à petit l’ensemble de vos cuisines et lorsque vous avez repris Bouillon Chartier en 2007, vous avez transformé les cuisines. Pensez-vous que la cuisine professionnelle - le lieu - doit évoluer ?
Oui absolument même si c’est la zone de l’établissement que la clientèle ne voit pas, il est indispensable de la faire évoluer car les process que l’on utilisait hier n’ont plus cours aujourd’hui. Même si nous produisons toujours nos recettes à partir de produits frais, de saison. Chez Bouillon Chartier nous passons en moyenne 200 œufs mayonnaise par jour et avant le Covid nous pouvions dépasser 1 800 couverts/jour. Lorsque nous avons repris cette institution, classée Monument historique je le rappelle, il nous a fallu réorganiser la cuisine. C’était indispensable pour re-produire absolument tout sur place. J’ai donc tout modifié, choisi du matériel modulaire plus compact et plus polyvalent pour gagner en flexibilité et en confort de travail. Mais je ne vous cache pas que ce sont à chaque fois des petites révolutions tant les habitudes sont ancrées. Lorsque nous avons mis de l’induction chez André, il y avait des doutes tant sur la technicité que sur la prise en main. Les cuissons de nuit à basse température, c’est aussi l’avenir et les fours actuels permettent de les réaliser très simplement. Je suis intimement convaincu que des cuisines bien conçues, avec des matériels de dernière génération peuvent nous faire gagner en performance, en sécurité et en confort. Il faut aussi que la maintenance soit parfaitement contrôlée. Quand je parle de performance c’est à la fois en termes de gain sur le temps de travail mais aussi en matière d’économies d’énergie et de durabilité des équipements. Quand vous maîtrisez ces aspects, la cuisine peut devenir un centre de profit et en tant que gestionnaire, on n’a pas le droit de passer à côté de tout ce qui peut nous permettre d’améliorer nos coûts d’exploitation. J’ai deux responsables techniques dont un qui est frigoriste. Mais je dois dire que pour des groupes comme le nôtre il est très difficile de trouver de bons interlocuteurs extérieurs pour maintenir nos établissements dans de bonnes conditions…
Une success story bien française
Christophe Joulie a rejoint le groupe familial en 2001 et le préside depuis 2006, date à laquelle, son père, Gérard Joulie, lui a laissé les rênes. Après des études de commerce (ISC PARIS) et une courte carrière semi-professionnelle dans le rugby (au poste de 3e ligne), Christophe Joulie a repris la destinée du groupe familial dans lequel il a évolué dès son plus jeune âge. C’est lui qui a accéléré le développement du groupe, le faisant passer de 6 établissements à 15. Il a mené à bien la reprise de Bouillon Chartier, a transformé le Montparnasse 1 900 en un bouillon Chartier Montparnasse et a pris le virage de l’hôtellerie. C’est encore lui qui a décidé de relancer la marque Batifol en 2019.
Gérard Joulie, 77 ans, est le patriarche de cette famille aveyronnaise. C’est lui qui a fondé le groupe sur le rachat en 1975 du Congrès Maillot. Au fil du temps, il lui a adjoint de nouveaux établissements prestigieux tels L’Auberge Dab, Sébillon, Le Congrès Auteuil, Chez André etc. Toujours aux côtés de son fils pour l’écouter et le conseiller, il reste le pilier fondateur de cette success story à la française.

©Groupe-Joulie
Le groupe Joulie a repris Bouillon Chartier en 2007 et l'adresse réalisait jusqu'à 1 800 couverts/jour avant la crise sanitaire
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