À l’occasion d’EquipHotel, Roger Obeid, consultant en hôtellerie-restauration, membre du FCSI, intervenait sur le stand du FCSI France sur un sujet dans lequel il s’investit au quotidien : l’inclusion du handicap moteur dans l’industrie hôtelière. Nous l’avons rencontré.

Pourquoi militez-vous en faveur de l’inclusion du handicap dans l’univers du foodservice ?

Je suis né au Liban. Enfant, à travers des travaux de volontariat, j’ai toujours été familiarisé avec le handicap. La guerre et ses effroyables dommages ont tout accéléré. Plus tard, lorsque je préparais mon MBA, j’avais un ami qui avait été touché par une bombe alors qu’il jouait au foot lorsqu’il avait 13 ans. Il était en fauteuil. Aujourd’hui il est avocat. Ce fut une autre source d’inspiration dans mon métier de consultant en ingénierie d’hôtellerie et de restauration. J’ai toujours considéré que mon métier était de répondre aux besoins des gens en imaginant des solutions techniques pour faciliter leur quotidien dans les cuisines ou les restaurants. J’ai voulu aller plus loin en proposant des réponses qui englobent les besoins des personnes en situation de handicap.

Pour vous le handicap est omniprésent dans le quotidien…

Oui car il peut survenir à plusieurs niveaux : dans une situation à un instant T, mais aussi de manière temporaire lorsque je me casse un bras par exemple et bien entendu de manière permanente lorsque l’on perd un sens ou un membre. À ces handicaps divers et variés, il existe deux réponses : l‘une émanant du monde médical, qui lie le handicap à l’incapacité d’accomplir une tâche, l’autre vient de la vision sociale. Par sa gestion, la société actuelle crée le handicap (moteur). Le handicap touche 12 à 15 % de la population mondiale, les PMR (Personne à mobilité Réduite) comptant seulement pour 2 % mais c’est pourtant ce symbole qui incarne le handicap. Alors que 80 % des individus cachent leurs handicaps. Vous comme moi en avons peut-être un que vous ne voyez pas… mais qui nous empêche de faire des choses “normalement”… Les seniors sont souvent dépendants parce qu’il y a plein de choses qu’ils ne peuvent plus faire en raison de leur âge. Pour autant, ils ne sont pas considérés comme handicapés au sens où la société l’entend. Et ils le sont bel et bien. Les jeunes gens qui ont eu des accidents sportifs par exemple le sont également…

À Beyrouth, vous avez conçu les postes de travail d’une école hôtelière un peu particulière. Racontez-nous…

En 2002, l’Université Saint Joseph de Beyrouth, une institution gérée par les jésuites depuis 1875, me contacte pour les accompagner dans un projet d’école hôtelière. D’une part pour les aider à concevoir le programme, d’autre part en tant que designer pour les aider à implanter les laboratoires de cuisine. J’étais déjà très impliqué dans les questions de handicap et j’ai proposé que les postes de travail soient adaptés aux personnes souffrant de handicap. Le père Bruno Sion avait un budget très restreint. Je me suis engagé pour que ça ne coûte pas plus cher que des postes de travail traditionnel. J’ai mis en œuvre mon imagination tout en ayant en tête que les choses les plus simples sont souvent les meilleures. C’est ce que j’appelle le concept KIS (Keep It Simple). Il fallait à tout prix sortir du schéma traditionnel, transformer les structures rigides en structures flexibles, permettre une synergie aussi horizontale que verticale…

Quelle a été votre réponse ?

J’ai mis sur pied des cuisines « Lego » qui se réinventent selon l’usage et les utilisateurs. J’ai travaillé avec des fabricants de mobilier en inox et nous avons par exemple inventé avant tout le monde les plans de travail à hauteur variable. C’est ainsi que nous avons développé la première cuisine modulaire adaptée pour accueillir TOUS les élèves. Ce concept est basé sur des plans de travail mobiles pouvant accueillir différents modules de cuisson interchangeables entre eux. Les modules peuvent à la fois fonctionner au gaz ou à l’électricité grâce à une borne de connexion mobile qui peut venir s’insérer entre deux tables par exemple sur laquelle on va brancher le gaz ou l’électricité. En fonction des tâches à réaliser on aménage le poste de travail sur-mesure. J’ai baptisé ce concept Cart Chef car finalement tous les éléments de la cuisine sont montés sur roulettes et se déplacent comme des chariots, et s’alimentent avec la borne énergétique.

Vous êtes aussi à l’origine d’un programme informatique qui met en relation recruteurs et candidats handicapés…

Oui car on se rend compte que le premier frein à l’embauche d’un candidat ayant un handicap c’est la méconnaissance et la peur de ce sujet. Le recruteur associe souvent le handicap à une maladie permanente, source de contraintes. De son côté, le candidat, lui, ne sait pas comment se présenter à un recruteur et le marché du travail est pour lui une source d’angoisse car il connaît le poids des préjugés qui, hélas, perdurent. Je suis parti du principe que c’est le verre à moitié plein qu’il faut regarder. J’ai fait correspondre les capacités restantes (des personnes en situation de handicap [PH]) avec la description des tâches de travail dans tout poste de notre profession. Nous gagnons sur deux plans : d’un côté le recruteur peut cibler avec plus d’assurance le meilleur poste, et du côté des PH nous leur ouvrons des horizons qu’ils n’auraient jamais imaginés. Nous listons également les tâches nécessitant une assistance du fait de leur complexité. Dans le futur, nous prévoyons de mettre ce programme en ligne sur un site. Je suis convaincu qu’avec la pénurie de main-d’œuvre que l’industrie hôtelière rencontre, l’inclusion du handicap moteur doit être une piste à suivre de près. D’autant que nous avons de beaux exemples de réussite si l’on pense à ce célèbre sommelier qui travaille dans un palace parisien où à ce chef lyonnais, devenu chroniqueur culinaire…

Aujourd’hui vous poursuivez vos travaux…

Oui, à plusieurs niveaux. J’enseigne – j’interviens actuellement à l’Institut Paul Bocuse – et à travers JOIN F&B (N.DL.R : Contraction de JOb Inclusion), une structure qui me permet d’intervenir à la fois sur ce que j’appelle le hardware (la technique), le software (la mise en relation recruteur/employé) mais aussi le coaching/casting. Cette dernière activité a pour objectif d’accompagner les établissements à mieux inclure les personnes en situation de handicap. Nous sommes capables d’effectuer des audits de leurs installations et de leur éditer des recommandations souvent très simples à mettre en place pour améliorer les postes de travail. Il suffit parfois de modifier la signalétique en ayant recours à des images plutôt qu’à du texte, implanter des miroirs ou des voyants lumineux pour prévenir ou solliciter des malentendants afin qu’ils puissent mettre en œuvre leurs tâches etc. Nous avons des dizaines d’exemples qui fonctionnent et que nous proposons de partager avec les employeurs. Nous avons également organisé des ateliers d’initiation au chocolat pour des personnes non voyantes qui ont démontré qu’elles pouvaient tout à fait réaliser certaines tâches très convenablement… Demain, c’est une évidence, les établissements, leurs cuisines ou leurs laboratoires devront être conçus pour être inclusifs.

Une ingéniosité récompensée

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Roger Obeid est né au Liban en 1953 où il a vécu la guerre et ses conséquences sur les biens et les personnes. Il est désormais citoyen canadien même s’il se considère avant tout citoyen du monde. Son éducation l’a toujours poussé à travailler avec des personnes en difficulté ou touchés par des handicaps.

Adolescent déjà, ses responsabilités en tant que moniteur de ski (hiver) et de colonies de vacances (été) l’ont inspiré à se tourner vers les autres. Au Liban, il ne trouve pas d’École de Management pour l’Hôtellerie, un métier qu’il a choisi de faire. Il rejoint alors la Suisse et entre à Glion dont il sortira diplômé en 1977. Il poursuit ses études aux États-Unis à Cornell University et travaille en parallèle dans de nombreux hôtels. Conscient que les systèmes très normés de l’hôtellerie ne sont pas pour lui, il devient consultant indépendant en 1981 et retourne au Liban. Mais la guerre s’intensifie et il doit quitter le pays. Il travaille alors partout dans le monde, avant de rejoindre le Canada à la fin des années quatre-vingt. Il est missionné sur de nombreux projets, dans le monde entier, mais poursuit ses recherches pour tenter d’inclure le handicap dans ses conceptions.

Puis, il décide de reprendre des études à l’Université de Montpellier pour réaliser un Doctorat. C‘est là qu’il va peaufiner son fameux projet de cuisine modulaire permettant d’inclure les personnes avec des handicaps moteurs mais aussi les malentendants. Lorsqu’il imagine le projet JoIn F&B, il le présente au Concours de l’Innovation de l’UNWTO (United Nations World Tourism Organisation) où il décroche, à 68 ans, le 1er Prix en 2021. « Je pense que je ne m’arrêterais jamais » plaisante-t-il, « j’ai vraiment l’espoir que l’industrie touristique comprenne tous les bénéfices qu’elle peut tirer d’une minorité invisible mais qui peut tant lui apporter… ».

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