« Les contenants réutilisables seront un challenge très important et structurant… »

Comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris que l’année prochaine, vos livraisons devraient s’effectuer dans des contenants réutilisables ?
La surprise était de taille car personne dans la profession n’avait vu venir cet amendement glissé dans la LOI n° 2020-105 du 10 février 2020 dite loi AGEC* proposée par la députée Mireille Clapot dont le premier projet de texte a été renforcé par la commission mixte paritaire coordonnée par la députée Stéphanie Kerbarh. La proposition de la commission mixte paritaire a tout simplement été de supprimer la rédaction qui permettait d’utiliser des contenants recyclables en exigeant uniquement l’utilisation de contenants réutilisables. Ma réaction a été de faire le tour des syndicats professionnels de la restauration collective et des services à la personne mais le portage de repas à domicile est une niche qui a du mal à mobiliser les professions car c’est un sujet transverse avec peu d’enjeux économiques pour les grands acteurs de ces domaines. Je suis donc intervenu au nom de la société Saveurs et Vie auprès des rédacteurs du décret d’application qui était en cours de préparation. Nous avons la particularité d’intervenir à la fois sur le marché des particuliers dans le cadre des services à la personne et également auprès des plus grands CCAS (Centre Communal d’Action Sociale) dans le cadre des réponses aux appels d’offres lancés par les collectivités territoriales. Cette position et mon antériorité dans la rédaction des premières législations sur la sécurité sanitaire lorsque j’étais ingénieur restauration à l’AP-HP m’ont donné une crédibilité auprès du ministère de la transition écologique.
Les pouvoirs publics ont-ils été sensibles aux problématiques que vous leur avez exposées ?
Ils ont été sensibles à la problématique de la sécurité sanitaire posée par la première rédaction du décret mais également aux problèmes d’entorse à la bonne concurrence avec les plates-formes de livraison de repas à domicile qui n’ont pas de législation contraignante dans le domaine du réemployable. La discussion était particulièrement complexe car la loi était adoptée et la connaissance du secteur bien faible. Je n’ai pas pu obtenir la réintroduction de la mention concernant la possibilité d’utiliser des matières recyclables mais j’ai pu discuter de la fréquence de livraison afin de permettre de réduire les temps de stockage de vaisselle sale dans les domiciles des personnes âgées fragiles et de garder une compétitivité par rapport aux autres acteurs de livraison de repas à domicile qui ne sont pas soumis à cette législation.
Combien de repas, votre entreprise livre-t-elle chaque jour ? Auprès de quels clients ?
Nous livrons plus de 8 000 repas/jour sur l’ensemble du territoire national vers les particuliers et nous avons une implantation très importante en région parisienne avec nos propres veilleurs livreurs. Nous avons consolidé notre place de leader sur ce marché en île de France et nous avons lancé une déclinaison de notre modèle en région, Pays de la Loire et en PACA. D’autres régions sont à l’étude dans le cadre de notre développement. L’innovation 2 021 a été le lancement de notre site marchand www.saveursetvie.fr où la commande en ligne de bout en bout est maintenant possible dans le secteur du portage de repas à domicile en privilégiant toujours la variété et la personnalisation des prestations ainsi que l’adaptation aux régimes santé dans le cadre de notre engagement pour la lutte contre la dénutrition à domicile.
Comment procédez-vous actuellement ?
Nous continuons à décliner notre stratégie concernant nos engagements dans le développement durable. Nous avons été les premiers de notre secteur à mettre en place un plan d’action concret sur la limitation de notre empreinte carbone sur la logistique du dernier kilomètre, en utilisant massivement la livraison en vélo cargo. Notre système d’information utilise un calculateur intégré pour les émissions carbone de nos plateaux-repas, et grâce à cela nous déclinons notre plan d’action de réduction des émissions avec nos partenaires producteurs en utilisant le plus possible des produits locaux de saison. Pour ce qui concerne les contenants, nous avons adopté des contenants recyclables et notamment un nouvel approvisionnement pour nos contenants alimentaires que nous allons lancer en septembre à base de PET recyclés.
Quel plan d’action avez-vous mis en place pour répondre aux exigences d’Egalim ?
Concernant la loi Egalim, nous suivons les préconisations des cahiers des charges des CCAS et notre plan d’action est dans la continuité de nos engagements précédents en accélérant la mise en place des produits Bio dans nos plans de menu. Comme notre secteur est soumis particulièrement à la loi AGEC, nous avons mis en place un plan d’action spécifique pour être prêt à la bascule vers le réutilisable en janvier 2022.
Quels sont les tests les plus concluants à l’heure actuelle ?
Nous sommes en cours de test avec plusieurs solutions techniques et il est bien difficile de parler de conclusion à l’heure actuelle. Les difficultés sont nombreuses. Tout est possible à petite échelle avec différents matériaux et techniques de conditionnement, mais à grande échelle, les problématiques sont nombreuses et il faut avancer avec le concours des fournisseurs de contenants et les industriels qui opèrent dans le secteur du conditionnement automatique et semi-automatique. Nous sommes accompagnés par un nouvel acteur de cette transition écologique, la société UZAJE, qui a une bonne expérience sur ces transitions dans le secteur de la GMS, RHF et qui connaît bien le secteur industriel des contenants.
Vos clients sont-ils sensibles à cette nouveauté ?
C’est trop tôt pour avoir une vue statistique sur le regard de nos clients vis-à-vis de cette transition. Nous pensons bien sûr que les personnes âgées seront sensibles au retour de la consigne qu’elles ont beaucoup utilisé dans leur vie passée. Dans le cadre de notre plan d’action nous avons lancé une étude ethnologique auprès des bénéficiaires de trois CCAS en collaboration avec une équipe de chercheur de l’ESA d’Angers et des spécialistes des études ethnologiques. Notre département recherche avec notre doctorante Ségolène Fleury, qui vient de soutenir sa thèse CIFRE en collaboration avec l’INRA sur « le portage de repas à domicile : enjeu et impact de ce service sur le statut nutritionnel de la personne âgée dépendante » seront également d’un soutien important dans cette nouvelle phase.
Quel sera le surcoût de cette mesure pour une entreprise comme la vôtre ?
Là encore, il est trop tôt pour donner des chiffres précis, nous allons communiquer cela à la rentrée de septembre avec le groupe de travail du Ministère de la transition écologique. Il s’agit du comité de suivi de la charte d’engagement sur la réduction de l’impact environnemental des emballages et développement du réemploi dans le secteur de la restauration livrée mise en place en mars 2021. Ce comité suit l’impact des mesures sur le plan de la transition écologique et nous soutient pour l’accompagnement vers le financement des investissements nécessaires. Il faudra également compter sur la synergie des différents acteurs afin de faire baisser les surcoûts de fonctionnement liés aux nouveaux contenants et à la mutualisation de la logistique pour les opérations de retour des contenants et leur nettoyage.
Serez-vous prêt à relever ce défi ?
C’est un nouveau challenge très important et structurant pour notre entreprise. Après la surprise passée liée à un législateur qui ne prend pas suffisamment en compte l’échange avec les professionnels avant la rédaction des textes, nous sommes persuadés que c’est la bonne solution pour accélérer le changement de modèle afin de réduire de façon drastique les consommations de plastique à usage unique. Nous pensons également que les consommateurs, clients et futurs clients seront sensibles à l’effort d’innovation que nous mettons en place et rendrons le modèle économique possible en acceptant de payer un peu plus cher le service associé. Nous sommes dans un secteur de niche où les marges sont très faibles et les changements complexes à opérer pour les clients en BtoC comme en BtoB. Nous avons réussi le pari de la création d’entreprise dans un secteur très concurrentiel, nous avons également fait passer le secteur du portage de repas à domicile d’une dimension exclusivement sociale vers une dimension santé avec la lutte contre la dénutrition des personnes âgées, nous nous investissons maintenant pleinement pour relever le défi de la transition écologique avec nos clients.
*Loi AGEC : Loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire
BIO EXPRESS…

Paul Tronchon (58 ans) est le président fondateur de SAVEURS ET VIE, société spécialisée dans la prévention nutritionnelle et l’alimentation à domicile des personnes fragilisées créée en 2001 et leader sur son marché. De formation ingénieur agroalimentaire, il a passé la première partie de sa carrière dans l’industrie agroalimentaire et dans la grande distribution (groupe Casino). En 1992, il rejoint le groupe hospitalier Assistance Publique - Hôpitaux de Paris où il a été successivement Directeur de l’alimentation et de la nutrition puis Directeur de la logistique pour les hôpitaux du groupe. Il a participé activement à la rédaction de plusieurs publications, ouvrages, guides professionnels, sur la nutrition et la restauration de santé : – Méthode HACCP en restauration — Édition BPI – 1998 : ouvrage de référence sur la sécurité alimentaire – Guide ministériel CLAN (Comité de Liaison Alimentation Nutrition) rédigé pour la MEAH – Éditions Berger Levrault 2 007 - Alimentation & Alzheimer, s’adapter au quotidien. Édition Presses EHESP -2 011 Enfin, il est membre du collectif de lutte contre la dénutrition depuis sa création en 2016 et a été président de l’Union Des Ingénieurs Hospitaliers en Restauration (UDIHR).
Continuez votre lecture en créant votre compte et profitez de 5 articles gratuits
Pour lire tous les articles en illimité, abonnez-vous