Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Ségolène Fleury s’est intéressée au portage de repas à domicile pour décrypter l’enjeu et l’impact de ce service sur le statut nutritionnel de la personne âgée dépendante. Alors que la semaine nationale de la dénutrition 2021 se tiendra du 12 au 20 novembre, nous l’avons rencontré.

Votre thèse s’appuie en grande partie sur les résultats de l’étude Renessens*, menée auprès d’une soixantaine de bénéficiaires d’un portage de repas et vivant en région parisienne. Elle a mis en lumière des résultats inquiétants…

Effectivement, car lorsqu’on a besoin d’un portage de repas, il est probable que l’on soit déjà en difficulté nutritionnelle. L’étude Renessens nous a montré que 7 à 8 personnes sur 10 bénéficiant d’un portage de repas à domicile ne mangeaient pas assez pour couvrir leurs besoins nutritionnels. Cette situation est particulièrement préoccupante chez les bénéficiaires qui ne reçoivent qu’un repas livré par jour car elles ne parviennent pas à compléter suffisamment leurs apports avec des denrées obtenues par ailleurs.

En France, le portage à domicile concerne près de 100 000 personnes. Pour quelles raisons ces personnes ne reçoivent-t-elles qu’un seul repas quotidien ?

Il est fréquent que les personnes âgées ne reçoivent qu’un seul repas par jour lorsqu’elles ont recours à un service de portage de repas à domicile. Dans l’étude Renessens 69% de notre échantillon d’étude était dans ce cas. La majorité des personnes qui bénéficient d’un portage de repas sont orientées par les centres communaux d’action sociale (CCAS). Chaque ville établit le cahier des charges correspondant à l’offre de portage de repas qu’elle souhaite mettre à disposition de ses résidents. Beaucoup de collectivités n’envisage la distribution que d’un repas par jour. Au cours de ma thèse j’ai également pu constater que les personnes âgées qui avaient le choix de prendre un ou plusieurs repas livrés par jour, finissaient par n’en prendre qu’un. Les principales raisons évoquées pour justifier ce choix étaient : 1- le manque d’appétit et le caractère copieux des repas livrés, 2- le prix des repas souvent jugés trop chers 3- le désir de choisir certains des repas de la journée.

Le portage à domicile est-il un outil de lutte pertinent contre la dénutrition ?

On peut dire que le portage de repas à domicile est un levier pour lutter contre la dénutrition. Que ce soit dans la littérature scientifique ou dans les expérimentations conduites dans le projet Renessens ou encore dans Passeport Nutrition Santé, nous avons pu constater que la mise en place d’un portage de repas à domicile aide les bénéficiaires à répondre à leurs difficultés nutritionnelles en leur fournissant des repas leur permettant de manger plus et mieux. Quand est ajouté à la prestation de livraison de repas, un accompagnement diététique (conseil nutritionnel, suivi du poids, ajustement des repas), les difficultés nutritionnelles sont beaucoup mieux surmontées. Les résultats de l’étude Renessens ont montré que la mise en place d’un suivi diététique personnalisé avait permis d’améliorer significativement les apports caloriques et protéiques des destinataires.

L’étude Renessens a donné naissance au Passeport Nutrition Santé que Saveurs & Vie a mis en place. Quels bénéfices cette stratégie a-t-elle permis d’atteindre ?

Pourquoi ? Comme dans l’étude Renessens, la mise en place d’un suivi diététique personnalisé en plus de la livraison de repas au travers du programme Passeport Nutrition santé a permis de stabiliser durablement le poids des bénéficiaires. Toute la réflexion autour de l’état nutritionnel des personnes âgées a également permis à Saveurs et Vie d’aller au-delà du champ de la livraison de repas en développant de nouveaux programmes d’accompagnement nutritionnel en sortie d’hospitalisation, notamment avec Nutrivitalité et Nutriraac (projet qui s’inscrit dans les protocoles de Réhabilitation Amélioré Après Chirurgie (RAAC)) . Dans ces programmes, le passage du diététicien ou de la diététicienne est toujours très apprécié par les bénéficiaires qui se sentent écoutés. Ces suivis diététiques participent à prévenir le risque de dénutrition en stabilisant le poids et en aidant les bénéficiaires à retrouver de l’appétit en mettant l’accent sur le plaisir alimentaire. Les visites répétées des diététiciennes améliorent également le moral des bénéficiaires

Est-ce la qualité des repas livrés qu’il faut améliorer ou les services qui sont proposés ?

Des efforts sont encore à faire pour la qualité des repas et pour les services proposés dans la mesure où l’on sait qu’un seul repas fourni par jour n’est pas suffisant pour répondre aux besoins nutritionnels de la majorité des bénéficiaires. Avec le portage, nous avons entre les mains un outil de prévention de la dénutrition permettant de toucher une partie de la population âgée à domicile qu’il est souvent difficile d’atteindre. Aujourd’hui, Saveurs et Vie travaille sur des offres proposant plus de repas livrés par jour, un service de livraison de courses complémentaire à la livraison de repas ou encore une offre enrichie qui pourra être fournie aux bénéficiaires ne souhaitant prendre qu’un seul repas livré par jour.

RENESSENS en bref…

Le projet RENESSENS est un projet financé par l'ANR (Agence Nationale de Recherche) qui a également été soutenu par le pôle de compétitivité Vitagora et le Conseil Régional de Bourgogne. Le projet s’est étendu sur 4 ans (2014 à 2017) et a regroupé 9 instituts de recherche publics, 9 partenaires privés et 2 associations. La thèse (CIFRE) de Ségolène Fleury a été encadrée par Paul Tronchon (Saveurs & Vie), et dirigée académiquement par Claire Sulmont-Rossé (INRAE) et Virginie Van Wymelbeke (Centre Hospitalier Régional Universitaire de Dijon). L’objectif de RENESSENS est de développer des solutions permettant de personnaliser la prise en charge des seniors dépendants, autrement dit de permettre à chaque senior de couvrir ses besoins nutritionnels en limitant le gaspillage alimentaire. Cela nécessite d’avoir une meilleure connaissance des profils de mangeurs au sein de cette population et de développer une offre alimentaire adaptée aux besoins, capacités et préférences de ces différents profils.